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pertinente. Or, selon l’art. 103 LTF, dans un cas de ce type, le recours en matière pénale n’a pas d’effet suspensif. Pour empêcher une mise en liberté, il faudrait donc que le minis­ tère public demande le maintien en détention par la voie de mesures provisionnelles selon l’art. 104 LTF. Une telle conclusion se confondrait toutefois avec sa conclusion au fond, ce qui n’est pas admissible. Au surplus, le Tribunal fédéral pourrait être amené à se prononcer en première ins­ tance, ce qui n’est pas son rôle. Dès lors, selon la jurispru­ dence du Tribunal fédéral une mise en détention ne saurait qu’exceptionnellement être prononcée par l’instance su­ prême du pays, dans des cas très particuliers, lorsque cela s’avère indispensable pour protéger des intérêts supérieurs directement menacés, par exemple la sécurité publique en face de personnes violentes et dangereuses 23 . Une mise en liberté ordonnée par l’autorité de recours est donc en prin­ cipe contraignante. Cette autorité dispose dès lors des attri­ buts exigés du juge de l’art. 5 ch. 3 CEDH. C’est a priori une bonne nouvelle. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le contrôle initial de la légalité de la détention doit in­ tervenir avec célérité, soit au maximum dans les nonante­ six heures dès la privation de liberté (cf. art. 224 al. 2 et 226 al. 1 CPP). Or, le temps que l’autorité de recours statue, au terme de la procédure contradictoire exigée par l’art. 5 ch. 3 CEDH 24 (ce qui n’est pas le cas de la procédure sur mesures superprovisionnelles), le délai de nonantesix heures sera vraisemblablement largement dépassé. Dans de tels cas, la détention sera donc systématiquement illégale, selon la propre jurisprudence du Tribunal fédéral 25 ! Les observations qui précèdent autour de l’ATF 142 IV 29 et de l’ATF 137 IV 92 et ses suites laissent entrevoir les craintes qui semblent exister à laisser le ministère public et le tribunal des mesures de contrainte jouer pleinement leurs rôles respectifs dans la procédure de détention et assumer les responsabilités qui leur sont confiées. Elles illustrent aussi le fait qu’à vouloir moduler par voie prétorienne le rôle des uns et des autres, la jurisprudence a altéré la logique procédurale voulue par le législateur fédéral, au détriment des droits du prévenu détenu. Les réflexions en cours en vue de certaines modifications du CPP seraient dès lors à notre sens l’occasion d’une part, de préciser clairement à l’art. 226 al. 4 CPP que le tribunal des mesures de contrainte n’a en aucun cas le droit de prononcer des mesures de contrainte plus incisives que celles requises par le ministère public et, d’autre part, si le recours du ministère public contre les dé­

cisions du tribunal des mesures de contrainte en matière de détention devait finalement être ancré à l’art. 222 CPP, que le contrôle initial de la légalité de la détention, procédure de recours comprise en cas de recours du ministère public, doit intervenir dans les nonantesix heures au maximum à compter du début de la privation de liberté. Ce dernier point peut paraître irréaliste à première vue, mais ne l’est proba­ blement pas. Les délais de vingtquatre et quarantehuit heures à disposition des autorités (art. 219 al. 4, 224 al. 2 et 226 al. 1 CPP) ne doivent en effet pas être épuisés et sou­ vent en pratique ne le sont pas, ni par la police, ni par le ministère public. Ils ne le sont d’ailleurs dans la règle pas non plus par le tribunal des mesures de contrainte, vu le peu de latitude qui lui est laissé par la jurisprudence pour ins­ truire 26 . Motsclés : rôle du tribunal des mesures de contrainte, ab­ sence de conformité à l’art. 5 ch. 3 CEDH du recours contre la mise en liberté Stichwörter : Rolle des Zwangsmassnahmengerichts, Un­ vereinbarkeit der Beschwerde gegen Freilassungsverfügun­ gen mit Art. 5 Ziff. 3 EMRK ■ Résumé : Dans la procédure de détention, le tribunal des mesures de contrainte a pour rôle de veiller au respect des droits fondamentaux du détenu et non pas de garan­ tir le bon déroulement de la procédure pénale. Il ne peut dès lors pas statuer audelà des conclusions prises par le ministère public. Le droit de recours du ministère public contre les décisions initiales de mise en liberté du tribu­ nal des mesures de contrainte contrevient à l’art. 5 ch. 3 CEDH. Zusammenfassung : Im Haftverfahren ist es Aufgabe des Zwangsmassnahmengerichts dafür zu sorgen, dass die Grundrechte der inhaftierten Person geachtet wer­ den, nicht aber zu gewährleisten, dass das Strafverfahren ordnungsgemäss verläuft. Das Zwangsmassnahmenge­ richt ist daher an die Anträge der Staatsanwaltschaft ge­ bunden. Das Beschwerderecht der Staatsanwaltschaft gegen ursprüngliche Haftentlassungsentscheide des Zwangsmassnahmengerichts widerspricht Art. 5 Ziff. 3 EMRK.

23 ATF 139 IV 314 consid. 2.3.3 = JdT 2014 IV 195. 24 Cf. notamment CourEDH 29.3.2010, Medvedyev et autres c. France, §124. 25 Cf. ATF 137 IV 92 consid. 3.2.1 = JdT 2011 IV 367 et ATF 137 IV 118 consid. 2.1.

26 Cf. ATF 137 IV 122 consid. 3.2.

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