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AUFSÄTZE 367
Le tribunal des mesures de contrainte peutil toutefois ordonner des mesures de substitution plus incisives pour les droits fondamentaux du prévenu que celles proposées par le ministère public ? Cette question n’a pas été tranchée par l’ATF 142 IV 29. Le Tribunal fédéral a cependant émis l’opi nion que le procédé serait acceptable, pour autant que le droit d’être entendu du prévenu soit respecté 12 . Il s’est ap puyé à cet égard sur le Message à propos de l’actuel art. 226 al. 4 let. c CPP 13 et trois avis de doctrine. L’examen de ces textes conduit toutefois à une conclusion différente. Si le Message dit en effet que le tribunal des mesures de contrainte peut ordonner des mesures de substitution «même si celles ci n’ont pas été proposées par le ministère public » 14 , c’est cependant par référence à l’art. 225 al. 4 let. c du projet de CPP (actuel art. 226 al. 4 let. c CPP au texte inchangé), c’estàdire aux cas dans lesquels le ministère public a de mandé la détention. Il rappelle en d’autres termes que le tri bunal des mesures de contrainte doit appliquer le principe de la proportionnalité et ordonner des mesures de substitu tion en lieu et place de la détention provisoire, même si le ministère public n’a demandé que celleci (cf. art. 226 al. 4 let. c CPP). Quant à la doctrine citée, elle vise le cas du pro noncé d’autres mesures de substitution 15 , mais non pas ex pressément la situation qui nous occupe, à savoir le pro noncé d’autres mesures plus incisives. Rien ne permet dès lors de retenir que le tribunal des mesures de contrainte aurait le droit d’ordonner des mesures de contrainte plus incisives pour les droits fondamentaux du prévenu que celles qui sont demandées par le ministère public. Au contraire, conclure de la sorte reviendrait à dénaturer le rôle du tribu nal des mesures de contrainte tel qu’il a précisément été dé fini par l’ATF 142 IV 29. Sur ce sujet encore, à chacun son rôle et ses responsabilités. Il n’appartient pas au tribunal des mesures de contrainte de s’attribuer des compétences que la loi ne lui confère pas et d’interférer dans la conduite de la procédure pénale par le ministère public 16 . Le rôle du ministère public dans la procédure pénale tel que défini par l’ATF 142 IV 29 avait déjà été circonscrit par l’ATF 137 IV 22 et ses suites 17 . Si un droit de recours contre les décisions du tribunal des mesures de contrainte a été octroyé par le Tribunal fédéral au ministère public, puis
assorti d’un effet suspensif limité 18 malgré le texte clair de l’art. 226 al. 5 CPP, c’est en effet au motif de donner à celui ci les moyens de garantir les objectifs de son instruction. Ainsi, lorsque le tribunal des mesures de contrainte pro nonce une mise en liberté et que le ministère public s’y op pose en suivant la procédure préconisée par le Tribunal fé déral 19 , son recours a pour conséquence que le prévenu reste détenu. En d’autres termes, la mise en liberté ordonnée est paralysée. Un regard critique doit être porté sur ce mécanisme, en particulier lorsque le tribunal des mesures de contrainte procède au contrôle initial de la légalité de la privation de liberté. Dans ce cas en effet, le tribunal des mesures de contrainte doit disposer des attributs exigés par l’art. 5 ch. 3 CEDH. Conformément à la jurisprudence de la Cour euro péenne des droits de l’homme, le juge qui procède au contrôle initial de la légalité de la détention doit en parti culier avoir le pouvoir d’ordonner de manière contraignante la mise en liberté 20 . C’est ce que notre législateur fédéral a justement prévu à l’art. 226 al. 5 CPP, lequel stipule que « si le tribunal des mesures de contrainte n’ordonne pas la dé tention provisoire, le prévenu est immédiatement mis en liberté ». En créant un droit de recours du ministère public, et surtout en le dotant d’un effet suspensif limité, le Tribu nal fédéral a cependant porté atteinte au pouvoir du tribu nal des mesures de contrainte d’ordonner la mise en liberté de manière effective. Lorsque cette mise en liberté est or donnée dans le cadre du contrôle initial de la légalité de la privation de liberté, cela a pour conséquence que le tribunal des mesures de contrainte n’est pas le « juge » exigé par l’art. 5 ch. 3 CEDH, faute de disposer des compétences né cessaires à cet effet. Qui peut alors être ce juge ? Estce l’autorité de recours saisie par le ministère public ? Oui, si elle dispose du pou voir d’élargir de manière effective. Au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral, à savoir les ATF 138 IV 92 21 et 139 IV 314 22 en particulier, c’est en principe le cas. Le Tribunal fédéral a en effet souligné que le recours en matière pénale du ministère public contre une décision de dernière instance cantonale de mise en liberté n’est pas assorti du même effet suspensif limité que le recours devant l’autorité de recours selon les art. 222 et 393 et ss CPP. Devant le Tribunal fédé ral en effet, le CPP ne s’applique pas. C’est la loi sur le Tri bunal fédéral (RS 173.110 – LTF) qui est la loi de procédure 18 ATF 137 IV 237 = JdT 2012 IV 151. 19 Annonce immédiate du recours auprès du tribunal des mesures de contrainte et dépôt dans les trois heures au maximum dudit recours assorti de mesures superprovisionnelles et provisionnelles en vue du maintien en détention du prévenu. Cf. à cet égard les arrêts «mode d’emploi » cités sous note n o 2 supra. 20 Cf. notamment CourEDH 3.10.2006, McKey c. Royaume-Uni, §40 et CourEDH 28.10.1998, Assenov et autres c. Bulgarie, §146. 21 ATF 138 IV 92 consid. 2 = JdT 2013 IV 12. 22 ATF 139 IV 314 consid. 2.3.3 = JdT 2014 IV 195.
12 ATF 142 IV 29 consid. 3.3 et 3.5. 13 FF 2006 1057, 1214. 14 FF 2006 1057, 1214.
15 Hug/Scheidegger, Kommentar zur schweizerischen Strafprozess ordnung (StPO), 2 e éd., Zurich 2014, art. 226 n o 13 ; Forster, Basler Kommentar Strafprozessordnung Jugendstrafprozessordnung, 2 e éd., Bâle 2014, art. 226 n o 12 ; Schmid, StPO Praxiskommentar, 2 e éd., Zurich/StGall 2013, art. 226 n o 10. 16 ATF 142 IV 29 consid. 3.4 in fine. 17 ATF 137 IV 87 = JdT 2012 IV 143 ; ATF 137 IV 230 = JdT 2012 IV 179 ; ATF 137 IV 237 = JdT 2012 IV 151 ; ATF 138 IV 92 = JdT 2013 IV 12 ; ATF 138 IV 148 = JdT 2013 IV 20 ; ATF 139 IV 314 = JdT 2014 IV 195 ; TF, 26.5.2015, 1B_158/2015.
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